Publié le 02/04/2020 dans LE QUOTIDIENT DU MEDECIN.fr
 
Le Pr Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée-Infection à Marseille, est au coeur de la polémique autour de l’utilisation de de l’hydroxychloroquine dans l’infection Covid-19. Contacté plusieurs fois par « le Quotidien », l’infectiologue médiatique a répondu sous la forme d’une tribune. Pour le fer de lance de l’antipaludique, l’épidémie de coronavirus est l’occasion de remettre en place « une réflexion sur la morale du choix entre le soin et l’expérimentation ».
 
Les études comparatives randomisées (les patients sont tirés au hasard pour recevoir un traitement ou un autre) ont bénéficié depuis le début du XXIe siècle d’un engouement considérable, poussé à la fois par l’industrie pharmaceutique et par un nouveau groupe de chercheurs spécialistes d’analyses des data produites par les autres, que sont les méthodologistes. Cette approche est restée contestée, et les 2 articles, les plus cités dans ce domaine, concluent que les essais randomisés ne sont pas supérieurs aux essais observationnels.
 
Les méthodologistes ont réussi, dans à un certain nombre de cas, à imposer l’idée que leurs pensées représentaient la raison, mais en pratique, ce n’est jamais qu’une mode scientifique parmi d’autres.

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Une définition a été baptisée, à la fin du XXe siècle, pour savoir s’il était autorisé de faire une étude randomisée, du nom barbare de « Clinical équipoise ». Cette notion introduit l’idée que l’on ne peut faire une étude randomisée que si l’on est certain qu’il n’existe pas de traitement efficace, sinon il n’est pas éthique, bien sûr, de choisir l’expérimentation plutôt que le soin. Le premier devoir du médecin est le soin, et non l’expérimentation.

 
La place de l’observation anecdotique pour les maladies infectieuses
 
Toutefois, cette approche raisonnable fait l’objet de très nombreux débats chez les gens qui pratiquent réellement l’éthique dans le monde, celui-ci paraît absent en France. En pratique, les partisans majeurs des essais randomisés ont fini par les introduire comme la preuve unique de l’efficacité d’un traitement, ce qui signifie que l’on ne devrait plus pouvoir utiliser un traitement en disant qu’il est efficace sans avoir fait un essai randomisé.
 
Dans ma propre expérience, j’ai déjà mis au point dix traitements différents, dont la plupart se retrouvent dans tous les livres de médecine rapportant les maladies sur lesquelles j’ai travaillé, sans jamais avoir fait d’essais randomisés. Les éléments, qui amènent, généralement, à la découverte des traitements, sont : l’observation anecdotique et les observations de séries correctement analysées. Il est clair, si on a la curiosité de regarder, par exemple, Wikipédia « Randomized Controlled Trial » en anglais (celui en français est, comme souvent, mal fait), que la plupart des gens reconnaissent que la découverte ne vient pas des effets randomisés, mais des initiatives individuelles. C’est ce qu’il s’est passé dans 99 % des traitements de maladies infectieuses. Par ailleurs, pour beaucoup de maladies, comme pour le sida ou pour les hépatites, l’efficacité du traitement est extrêmement facile à évaluer par les dosages dans le sang du virus, qui ne nécessite pas d’étude randomisée mais simplement des dosages réguliers.
 
Légitimité du placebo en question
 
Concernant le coronavirus, dès l’annonce officielle des autorités chinoises de l’efficacité des médicaments du groupe de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine, se posait la question de la légitimité de l’utilisation d’une branche placebo d’expérimentation. C’est-à-dire un groupe sans médicaments, dans l’essai Discovery. Ceci, sur le plan de l’éthique du soin, n’était pas tenable. Il faut éviter les raisonnements circulaires qui, généralement, sont promus par les partisans d’une solution, non pas au nom de la science mais au nom de la certitude d’avoir raison. On ne peut pas dire que pour pouvoir sauver les malades, il faut des essais randomisés, car ceux-ci sont pratiqués d’une façon bien récente pour des domaines extrêmement précis pour lequel leur contribution à la santé globale du monde reste pour l’instant à démontrer.
 
Personnellement, je souhaite que l’occasion de cette épidémie permette au pays de remettre sur place réellement ce à quoi le comité d’éthique était destiné au départ, c’est-à-dire une réflexion sur la morale du choix entre le soin et l’expérimentation, et non pas sur les dérives que j’ai pu constater dans mon expérience, où par exemple pour l’évaluation du microbiote digestif du patient infecté par le virus du sida, il fallait proposer au patient un délai de 7 jours de droit de retrait pour revenir chercher sa crotte, afin de pouvoir changer d’opinion, ou celle d’imposer des essais randomisés. Ces recommandations ne sont plus de l’éthique mais une dérive déconnectée, et de la recherche, et de la priorité du soin sur la recherche. Et, je crois être aussi un chercheur !
 
Pr Didier Raoult
 
Source : LE QUOTIDIEN DU MEDECIN.fr