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ls-ljrLaurent SCHWARTZ, cancérologue


Il a exercé à Harvard Medical School (Massachusetts General Hospital) et travaille à la recherche sur le cancer à l’Assistance publique de Paris.

Il est l’un des premiers médecins à avoir proposé de remettre en question les hypothèses de base fondant la recherche actuelle en matière de traitement sur le cancer pour parvenir à vaincre cette maladie et a publié de nombreux articles sur le sujet.

Laurent Schwartz s’appuie sur un vaste réseau de chercheurs hors du champ de la recherche sur le cancer. Réunie à l’École polytechnique, l’équipe formée de mathématiciens, de physiciens et de biologistes concentre son travail sur la recherche d’un traitement efficace et novateur contre le cancer.

Une aventure originale

La simplification du cancer

Avec l’aide de deux amis mathématiciens, Jean-Marc Steyaert (68) et Mireille Gettler Summa (Paris Dauphine), nous avons colligé l’ensemble des données disponibles sur le cancer, disséminées çà et là sur Internet ou à l’Agence internationale de la recherche contre le Cancer, basée à Lyon. Nous avons ainsi récupéré les données sur une cinquantaine de pays et sur plusieurs dizaines d’années.

Nous avons créé le premier fichier où nous pouvions vraiment étudier l’évolution de la maladie. On peut ainsi comparer l’évolution de la mortalité au cours du temps en tenant compte de l’évolution de la population et de son vieillissement. Un travail de titan, mais une conclusion sans appel.

La mortalité par cancer n’a baissé que de moins de 5% en cinquante ans

En comparant ce qui est comparable, et en tenant compte de l’accroissement de la population et de son vieillissement, la mortalité par cancer n’a baissé que de moins de 5% en cinquante ans, chez les adultes, dans quarante pays occidentaux.

La démarche est moins facile à suivre qu’à raconter. Certains pays ont disparu, comme l’Allemagne de l’Est, l’URSS ou la Yougoslavie. D’autres sont apparus, comme la Croatie ou la Slovénie. Les classifications ont, elles aussi, varié, devenant de plus en plus précises. Le travail d’homogénéisation et de nettoyage des données a été colossal.

Nous avons donc bâti, le plus légalement du monde, un fichier du nombre de morts par cancer stratifié par tranche d’âge, sexe et lieu de vie.

Forer dans les banques de données

En matière de cancérologie, tout ou presque a déjà été dit. Notre espoir est qu’il suffit de fouiller un peu et de s’éloigner de la Toile, en changeant de perspective, pour découvrir le tableau dans son unicité.

Une démarche analytique
La démarche n’est pas inédite dans l’histoire des sciences. Le recours à la méthode expérimentale date à peine d’avant-hier, et ne marche pas forcément. Copernic et Einstein, par exemple, n’ont pas fait d’expériences. Ils ont génialement analysé les mesures laborieuses et méthodiques des astronomes grecs, puis arabes, ou celles de Maxwell. Les Copernic et Einstein de la cancérologie ont déjà vécu : ils s’appelaient Virchow, Pasteur et Warburg. Leurs grandes découvertes se sont retrouvées noyées et oubliées sous un amoncellement de publications plus récentes.

À l’instar des raiders des années 1970 – il était plus avantageux d’acheter au rabais une compagnie pétrolière que de se lancer dans une prospection hasardeuse et ruineuse –, nous avons donc décidé de forer dans les banques de données scientifiques à notre disposition.

C’est-à-dire que notre méthode ne se fonde pas sur des «expérimentations scientifiques encourageantes » ni sur aucun « essai médicamenteux prometteur », mais sur une tentative de compréhension de données existantes. Cette démarche n’est pas classique, nous en convenons. Habituellement, une expérimentation laborieuse confirme une intuition, mais, enfin, on peut également élaborer une théorie puis la comparer aussi objectivement que possible aux données connues.

À force d’allers et retours, de digressions et de lectures, nous avons simplifié. Et, quand une hypothèse simplifie un problème longtemps complexe, elle est probablement correcte – même si elle paraît, un temps, invraisemblable. C’est l’application à la recherche du principe de Sherlock : quand vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste est sûr, même si ça paraît improbable.

Un discours mythique et faux

Dans notre société de communication, notre société de spectacle, la mise en scène de la maladie ne compte pas pour rien. Il se tient ainsi sur le cancer un discours bien rodé, parfaitement mythique, et parfaitement faux, qui entretient dans l’opinion (y compris dans l’opinion médicale) un certain nombre d’illusions.

Mais la répétition de ces discours mensongers fabrique la vérité sur laquelle s’appuie tout le système pour survivre. Quel discours ? « Le cancer, c’est compliqué. » « La recherche, c’est hors de prix.» « Seul le high-tech peut nous sauver – et pas tout de suite.»

Rapprocher les intelligences

Essayons, pour voir, un autre discours. La science forme un tout. Il n’y a pas de grands sorciers, il faut rapprocher les intelligences pour repenser la recherche, et la médecine n’existe pas indépendamment des mathématiques, de la physique, de la chimie et de toutes les autres sciences. Tout spécialiste qui récuse a priori les idées de disciplines connexes est un fier-à-bras.

Quand on a éliminé l’impossible, ce qui reste est sûr, même si ça paraît improbable

Aucune utopie dans ces propositions. Nous découvrîmes une mine d’informations – ces objets désuets que l’on appelle les livres. Pas ceux que l’on a écrits récemment et que l’on trouve sur Internet, mais ceux qui sont dans les bibliothèques depuis longtemps, parfois même imprimés en gothique.

À force d’allers et retours, de digressions et de lectures, nous pouvions simplifier. Quand une hypothèse simplifie un problème longtemps complexe, elle est probablement correcte.

Couper les vivres

Livre : CANCER Guérir toutes les maladies par Laurent SCHWARTZ  et Jean-Paul BRIGHELLILa suite n’est que logique. Chaque année, plusieurs dizaines de milliers de molécules sont testées au laboratoire pour traiter le cancer. Si une seule molécule pouvait guérir le cancer, elle aurait probablement déjà été isolée.

D’où l’idée de tester systématiquement une combinaison de traitements seuls à même de couper les voies métaboliques anormales.

C’est l’intendance qui fait la force des armées, et son défaut qui explique les déroutes.

Il faut donc couper les vivres au cancer. La tumeur ne peut digérer le sucre et donc consomme des lipides et des protéines. Sans un afflux de nourriture, bien supérieur à celui des tissus normaux, elle ne peut survivre.

Encore faut-il couper toutes les voies métaboliques. Rien ne sert d’empêcher l’arrivée de bétail aux assiégés s’ils peuvent pêcher tout le poisson nécessaire dans la rivière. Couper une seule voie métabolique n’a pas de sens, car la cellule cancéreuse privilégiera d’autres aliments. Mais détourner la rivière et bloquer l’arrivée du bétail peut suffire.

Parier sur la simplicité

Le diabète s’explique par le déficit en insuline. Parions que le cancer, lui aussi, est simple.

Donner de l’espoir
Le hasard nous pousse souvent dans nos retranchements. J’avais peur de l’essai clinique, nous n’étions pas prêts. Un ami, Antonello, avec qui je partageais mes rêves, développa un cancer du côlon métastatique incurable. Il se savait condamné, et demandait de l’espoir.
Même si les molécules étaient connues et que les souris supportaient le traitement sans apparente toxicité, je n’osais les conseiller. Je conseillai donc à cet ami de prendre de l’acide lipoïque et de l’hydroxycitrate avec sa chimiothérapie.
Quatre ans plus tard, Antonello est retourné au travail. Son cancer est au repos, peut-être est-il guéri ?

C’est un pari pascalien. Car s’il faut bloquer des dizaines de voies métaboliques au prix de dizaines d’inhibiteurs, nous n’y arriverons pas. Notre seule chance est que le nombre de portes à ouvrir ou à fermer soit limité.

Pour dépister l’activité anticancéreuse, nous avons fui ces boîtes de Pétri où poussent des cellules cancéreuses bien nourries par du sérum de veau foetal et chauffées dans un incubateur à 37° avec une atmosphère contenant 5 % de gaz carbonique.

Ce n’est pas le vrai cancer qui dévore son hôte. Nous avons injecté à des souris des cellules cancéreuses et ce cancer-là se nourrit du rongeur qui le porte, comme le cancer humain. Quand la tumeur devint palpable, nous avons testé nos associations. L’immense majorité a été inefficace. Mais une, parmi les centaines testées, ralentissait la croissance de ces cancers murins.

Ce travail de Romain a été fastidieux, il a duré plusieurs années et a nécessité le sacrifice de milliers de rongeurs. Quelques milliers de souris plus tard nous avions trouvé un traitement efficace. Le fait que, chez la souris, trois ou quatre molécules (et non une centaine) suffisent à arrêter la croissance tumorale suggère que le cancer résulte d’un faible nombre d’anomalies enzymatiques.