Un «explorateur» qui se bat contre le cancer du système

Josée Blanchette
 
 
Joblo rencontre le Dr Laurent Schwartz, oncologue hors norme (à gauche), et son complice québécois, le professeur Mario Jolicœur, de Polytechnique Montréal. Deux chercheurs qui réfléchissent à l’extérieur de la boîte.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir
Joblo rencontre le Dr Laurent Schwartz, oncologue hors norme (à gauche), et son complice québécois, le professeur Mario Jolicœur, de Polytechnique Montréal. Deux chercheurs qui réfléchissent à l’extérieur de la boîte.
Il ne veut pas que je lui donne du « docteur » ni du « courageux ». Et chez lui, en France, on dit encore « cancérologue » alors que chez nous, on a préféré se référer à la racine grecque « onco » (tumeur), qui fait moins peur mais glace toujours les globules rouges. J’ai devant moi un scientifique, un homme réfléchissant à l’extérieur des cadres et une tête forte qui a donné sa vie pour que la vérité voie le jour : « La mortalité des cancers chez les adultes n’a à peu près pas diminué depuis 60 ans — 0,5 % — si on tient compte du vieillissement et de l’accroissement de la population ! Les avancées thérapeutiques ne sont pas à la hauteur. » Bang.
 
Depuis son diplôme en radio-oncologie obtenu à Harvard il y a plus de 30 ans, le Dr Schwartz junior — fils du doyen de la Faculté de médecine de Strasbourg — n’a pas chômé.
 
Mais il s’est rapidement rendu compte du peu de succès des traitements proposés d’emblée aux patients sous le terme de « protocoles ». Si des gains avaient été faits en leucémie infantile, on ne peut en dire autant pour la majorité des cancers chez les adultes.
 
En 1995, il faisait son coming out avec son premier pavé dans la mare, Métastases. Vérités sur le cancer. Laurent Schwartz y dénonçait l’inefficacité des chimiothérapies, des traitements qu’il compare à une médecine de guerre, d’une grande violence. « Le lendemain, je recevais une interdiction professionnelle », laisse-t-il tomber. Il a retrouvé son droit de pratique quelques années plus tard après un procès musclé, une réinsertion « de façade », comme il dit.
 
Aujourd’hui, il traite gratuitement, seulement des cas désespérés, des cancers du pancréas métastatiques qui n’ont que Dieu ou leur maman vers qui se tourner. Son ordre professionnel le poursuit aussi pour cela, même s’il considère que c’est de l’assistance à personnes en danger.
 
À titre de médecin et de chercheur à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, le Dr Laurent Schwartz a sacrifié 20 000 souris en six ans et sauvé la vie de bien des humains que la médecine conventionnelle condamnait. Ce cancérologue hors norme est passé chez nous cette semaine, de façon quasi anonyme, alors que son dernier livre, Cancer. Un traitement simple et non toxique, s’est vendu à plus de 50 000 exemplaires dans l’Hexagone l’automne dernier. Et pour cause. Il y donne « sa » recette (dont il ne pense pas qu’elle soit miraculeuse, mais « prometteuse »), inspirée des travaux du Prix Nobel de médecine Otto Warburg, dans les années 1920, et appuyée sur la piste métabolique plutôt que génétique. Même s’il existe des milliers de publications sur ce sujet, du côté de ses pairs, ce fut le silence institutionnel d’usage : « Aucune critique sur le fond. On sait que c’est déjà prouvé. Cela a tout simplement été écarté pour des méthodes plus agressives. » Et payantes…
 
Médecin maudit
 
Le Dr Schwartz n’a rien d’un savant fou ou d’un narcissique en quête de projecteurs aveuglants. Il ne se définit pas comme un docteur alpha, plutôt comme « le gars ben ordinaire » de la chanson de Charlebois. Et c’est l’oncologue que vous souhaiteriez croiser dans votre parcours labyrinthique de patient lorsque tout a échoué, et même avant.
 
La cellule cancéreuse carburant au glucose (dix fois plus qu’une cellule normale), il insiste sur l’importance de l’alimentation dans le traitement et recommande à ses patients la diète cétogène (70 % à 90 % de lipides, pauvre en glucides). Certains y arrivent, d’autres pas.
 
Il ajoute également deux suppléments disponibles en pharmacie ou sur Internet (acide lipoïque et hydroxycitrate), dont il donne le dosage précis dans son ouvrage.
 
« Rien n’est compliqué. Le cancer pas plus que les autres maladies. Mais il est plus simple de suivre le système… » D’ailleurs, le Dr Schwartz soutient que ce système économique du cancer, inefficace et trop coûteux, n’en a plus pour très longtemps. Il le compare au mur de Berlin, qui a fini par tomber.
 
Depuis 20 ans, le docteur s’entoure d’équipes de physiciens, de biologistes, de mathématiciens, et en appelle sur son site à ses collègues qui voudraient établir « une communauté médicale ouverte » et partager leurs connaissances entre eux, en source ouverte.
 
De connivence avec le professeur au Département de génie chimique à Polytechnique Montréal, Mario Jolicoeur, il explore. Celui-ci a fait sa thèse de maîtrise sur des composantes de chimiothérapie et est passé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour en apprendre sur le métabolisme cellulaire. Ils tentent de modéliser la thérapie « schwartzienne » sur le plan métabolique. « Cette piste existe depuis 100 ans, souligne le prof Jolicoeur. Mais là, on voit les chercheurs s’y réintéresser. »
 
Médecine intégrative
 
« Il y a longtemps que le cancer aurait pu, si ce n’est être guéri, tout au moins être maîtrisé, écrit le Dr Schwartz. C’est nous qui l’avons rendu compliqué. Le trop-plein d’argent et le politiquement correct ont fait le reste : ils ont tué la vraie recherche. »
 
Et le projet de recherche du médecin parisien est peut-être mort et enterré avec ses souris. On ne lui accorde pas le droit de passer à la phase clinique et de tester son traitement sans effets secondaires et peu coûteux sur de vrais malades.
 
N’acceptant pas le statu quo, le Dr Schwartz évoque un « système vaseux »« scientifiquement, rien n’est solide » et « ces thérapies dont on ne peut dire que du bien et penser autre chose ».
 
« Il y a beaucoup de foutaise en médecine traditionnelle et en médecine douce, dit-il. Mais la mise en commun peut être très efficace. Il existe des charlatans des deux côtés, mais une voie royale entre les deux. »
 
Le mot « violence » est revenu souvent au fil de notre échange. Il a vu des patients dont la vie fut brisée par les traitements, en état de choc post-traumatique. Il les amène ailleurs avec un certain succès, considérant la lourdeur des cas.
 
Tout en broutant ma salade, je l’observe s’attaquer à sa pièce de boeuf, beurrer généreusement sa baguette et y ajouter du gros sel en plus. J’ose une question narquoise : « La prévention, ça ne vous dit rien ? » Il me regarde, amusé : « Moi, c’est le curatif, mon truc ! »
 
En voilà un qui croit en sa propre médecine, c’est presque rassurant !
Le Dr Laurent Schwartz donnait une conférence cette semaine à l’invitation de l’OSBL Croquer la vie, de même qu’au Laboratoire de génie métabolique appliqué de Polytechnique Montréal.

 
Sauver sa peau L’excellent documentaire Surviving Terminal Cancer (« Survivre à un cancer en phase terminale ») est à voir par toute personne qui veut comprendre les étapes des études cliniques, des protocoles, du système dans lequel sont coincés médecins (comme le Dr Schwartz) et patients (qui en font les frais) lorsque vient le moment de choisir la piste de guérison appropriée. Grâce à Internet, des individus condamnés par la médecine conventionnelle s’organisent à l’insu de leurs médecins et échangent connaissances, tuyaux et médicaments (négligés mais ayant fait l’objet d’études) à l’international pour guérir par eux-mêmes. Tout un marché noir est né par solidarité. Et vive la dissidence !

 
Les exemples cités — des cas de glioblastomes au cerveau — sont spectaculaires et ces patients désespérés, mais acharnés, sont devenus leurs propres spécialistes. Le film fait parler des chercheurs, des patients-experts mais aussi des médecins révoltés par ce système contraignant qui ne favorise pas la découverte d’une cure pour le cancer, bien au contraire. « Je ne sais pas comment un neuro-oncologue peut se regarder dans le miroir le soir en sachant que ses patients vont mourir avec la radiothérapie et la chimio », dit un patient qui s’est automédicamenté avec succès et en utilisant une dizaine de médicaments hors protocole. Gratuit et sous-titré en français. Un must !
 
Dévoré le dernier livre du Dr Laurent Schwartz, Cancer. Un traitement simple et non toxique. Cette plaquette d’une centaine de pages relance le débat autour des traitements et explique très clairement la piste métabolique et la mitochondrie (respiration cellulaire). Pour suivre le Dr Schwartz et lire, surtout, les nombreux témoignages des patients, c’est ici.
 
Savouré sur une plage, cet hiver, l’essai Mes mille et une nuits du philosophe et chercheur Ruwen Ogien, sur « la maladie comme drame et comme comédie ». Atteint d’un adénocarcinome canalaire pancréatique (un cancer jugé gravissime), l’auteur nous fait pénétrer dans l’intimité psychologique de la maladie avec un humour caustique et une distance critique à la fois balsamique et littéraire. Il souligne notre propension au dolorisme, ces bénéfices intellectuels et moraux que nous pouvons tirer de la maladie et de la souffrance. Toute l’attitude des soignants et celle des malades est implicitement calquée sur cette approche nietzschéenne du « ce-qui-ne-te-tue-pas-te-fortifie ».