Publié le mercredi 5 octobre 2016 - par Collectif Formindep 

22/08/2016 L’université de Marburg publie une étude dans Annals of Oncology, consacrée au lien unissant les effets secondaires anticipés par les patientes et les effets finalement ressentis, dans le cadre d’un traitement par hormonothérapie après cancer du sein. L’étude est largement relatée dans les médias.

Or il s’agit d’un nouveau cas dans lequel une étude peu conclusive est à la fois survendue par ses auteurs et très mal comprise par les médias qui la reprennent.

Et cette étude en particulier soulève de nombreuses questions, à la fois scientifiques, médicales, et éthiques, et pourrait nuire aux patientes.

Une communication trompeuse

L’ hormonothérapie est un traitement administré après une opération du cancer du sein dans un but de prévention d’une récidive. Cette étude a tenté de prévoir les effets indésirables ressentis par les patientes après 3 mois, puis au bout de 2 ans de traitement, en fonction de 9 paramètres, dont l’anticipation d’effets secondaires par la patiente. Le résultat est décevant : sur une échelle de 0 (pouvoir explicatif nul) à 1, le modèle obtenu récolte une « note » de 0.17 pour sa capacité à prévoir les effets indésirables.[1]

Le communiqué de presse [6] , rédigé par une consultante en communication, est cependant optimisé pour une reprise par la presse grand public, au point d’être trompeur.

L’étude démontre une corrélation très limitée entre les attentes et les effets secondaires, mais aucun lien de causalité. Pourtant, le communiqué le laisse entendre en titrant : « S’attendre au pire augmente les effets secondaires ». Confondre corrélation et causalité est une erreur fréquente, ici délibérément exploitée par le communiqué de l’université.

De plus, il met en avant une donnée chiffrée spectaculaire : +80% d’effets indésirables déclarés par les femmes pessimistes. Le communiqué insiste et parle même d’effets « presque doublés ». Ce n’est pourtant pas le résultat de l’étude. Après prise en compte des autres facteurs, l’étude conclut qu’anticiper des effets indésirables pourrait expliquer seulement 3% de leur variance à 3 mois, et 6% au bout de 2 ans.[2]

Ce communiqué est une nouvelle illustration de la dérive communicante de la recherche. Pour soutenir leur carrière, mais aussi sous la pression de financeurs qui exigent des retombées industrielles et médiatiques, les chercheurs succombent parfois à la tentation de publier et communiquer de la façon la plus vendeuse et non la plus objective.

Une étude aux faiblesses rédhibitoires

Cette étude présente surtout de sérieuses faiblesses méthodologiques. Mais pour le comprendre il faut aller au-delà du communiqué et lire l’étude, d’ailleurs fournie en libre accès aux journalistes. Rares sont ceux qui comme Sharon Begley, journaliste vigie des études de santé, ont ainsi pu soulever ces différents points :

  • Il n’y a aucun groupe contrôle.
  • C’est une petite étude, avec 111 patientes au départ et 88 à la fin des deux années. Rien dans l’article scientifique n’indique le statut des 23 patientes perdues de vue vis-à-vis de leurs attentes initiales, ni des effets indésirables subis. Or cela peut suffire à invalider toute l’étude.
  • Surtout, les anticipations négatives des femmes vis-à-vis des effets secondaires peuvent être fondées sur leur expérience objective et non sur une attitude optimiste ou pessimiste. En effet, une femme qui a connu des symptômes sévères lors de sa ménopause sait que le traitement, d’un mécanisme similaire, risque chez elle de poser des effets indésirables particulièrement pénibles. Dans ce cas, son anticipation ne relève pas de la psychologie mais bien d’une réalité physiologique. Ce facteur majeur de confusion, c’est l’éléphant au milieu de la pièce, que les auteurs feignent de ne pas voir. Les auteurs n’ont pas du tout cherché à l’éliminer, or il pourrait à lui seul expliquer le lien observé entre anticipations et effets secondaires ! Interrogée sur ce point, l’auteure ne nous a plus répondu.

Au total il s’agit d’une étude trop insuffisante, par son effectif comme par sa méthode, pour en conclure quoi que ce soit.

Il faut sauver le soldat nocebo

L’étude et le communiqué ne s’arrêtent pas à ces résultats indiquant un lien faible entre anticipations et effets secondaires. Après avoir fait des anticipations une « cause » d’effets secondaires, les auteurs vont passer directement à la conclusion que le « doublement » des effets secondaires signifierait donc que la moitié d’entre eux serait d’origine purement psychosomatique. C’est ce qu’on appelle l’effet « nocebo ».

Pour soutenir cette thèse de l’origine psychosomatique des effet secondaires, les auteurs soulignent que beaucoup d’effets déclarés sont « non spécifiques », c’est-à-dire qu’ils les estiment « non attribuables à l’action du médicament », et attribuables par conséquent à l’effet nocebo. Problème : cette classification apparaît arbitraire et infondée. Exemple parmi bien d’autres : la perte de cheveux (alopécie) figure bel et bien comme effet « fréquent » dans le RCP du tamoxifene, ou de l’exemestane, les deux produits cités dans l’étude, et s’explique directement par leur action androgénique. Elle est pourtant classée par les auteurs parmi ces effets « nocebo ».

Surtout, l’article ne présente aucune analyse statistique de ces effets « non spécifiques » vs « spécifiques », ou de leur lien avec les anticipations des patientes, et s’en tient à du pur déclaratif. Interrogée sur tous ces points, l’auteure principale ne nous a plus répondu.

Au final, l’affirmation du caractère « nocebo » de ces effets indésirables ne repose ici sur aucune donnée chiffrée.

L’impression générale est que les auteurs ont cherché à sauver coûte que coûte la thèse de l’effet nocebo malgré des résultats numériques peu probants. Il se trouve qu’ils ont deux types de conflits d’intérêts qui pourraient les pousser à cela.

Trois des sept auteurs sont liés financièrement aux laboratoires commercialisant les médicaments concernés, qui se félicitent qu’on se propose d’imputer la responsabilité des effets indésirables aux patientes et non à leurs produits.

Surtout, cette publication n’est que la première étape d’une étude lancée depuis 2013, destinée à modifier les attentes des patientes dans le but d’améliorer leur observance du traitement. Le communiqué fait d’ailleurs office également de teasing pour la suite. Mais intervenir sur l’effet nocebo n’a d’intérêt que si cet effet est substantiel, d’où peut-être la tentation des auteurs de pallier le manque de données probantes par des discussions spéculatives. Il est à noter que les interventions sur les effets placebo et nocebo sont l’unique sujet d’étude de cette unité de recherche, et que de l’ampleur de ces effets dépend l’existence même de ce laboratoire.

Manipuler la patiente « pour son bien » ? Une pente dangereuse

Enfin, la conclusion de l’étude soulève bien des questions : « Les attentes, en tant que facteurs iatrogènes, peuvent être modifiées par des interventions psychologiques.  » L’article préconise ainsi d’ « encourager les patients à voir les effets secondaires potentiels non comme des sources de plaintes mais comme le signal que la thérapie commence à produire son effet bénéfique.  »

Or il n’existe pas de lien entre la survenue d’effets secondaires et l’efficacité d’un produit. Les auteurs proposent avec une candeur désarmante…de mentir aux patientes.

L’étude risque également de légitimer une attitude trop fréquente de la part des soignants : minimiser voire nier le ressenti des patients. « Mais non, vous n’avez pas mal  » avec éventuellement l’option, parfois explicitée « C’est dans votre tête  ».

Mais également leur mentir par omission, en choisissant par paternalisme de les « rassurer » plutôt que de les informer. Le commentaire de cette médecin lectrice du Figaro.fr montre bien que l’étude est perçue comme en opposition avec le devoir d’information :

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L’information donnée aux femmes sur les effets secondaires de l’hormonothérapie, lourds et particulièrement fréquents (71% souffrent de douleurs articulaires dans cette étude par exemple, mais également 53% de prise de poids, 46% de bouffées de chaleur, entre autres) était déjà notoirement insuffisante. Au point que des patientes se sont réunies en association (AFICS ) pour tenter d’apporter l’information objective qu’elles n’ont pas reçue des soignants. Cette étude et le tapage médiatique qui l’entourent risquent de nuire davantage au droit à l’information de ces patientes.

Elle risque également d’amener les patientes elles-mêmes à s’autocensurer et négliger de signaler des effets secondaires, en particulier si on les leur a décrits comme purs produits de l’effet nocebo. Or certains effets secondaires de l’hormonothérapie peuvent être graves (troubles thrombo-emboliques, cancers de l’endomètre). Considérer comme le suggère cette étude qu’une douleur dans la poitrine, une difficulté à respirer et des palpitations (trois effets ici classés « non spécifiques » pourtant signalés sur la notice) relèvent de l’effet nocebo, c’est risquer de passer à côté d’un effet secondaire connu et potentiellement mortel : l’embolie pulmonaire[3].

Enfin, une information précise et objective est d’autant plus cruciale lorsque le rapport bénéfices/risques d’un traitement est tangent. Dans ce cas, se traiter ou non est une décision particulièrement subjective, puisque ce choix doit dépendre principalement des préférences du patient. C’est précisément le cas pour l’hormonothérapie. Le tamoxifene a prouvé qu’il pouvait sauver la vie de 4% des femmes (1 femme sur 25) au bout de 5 ans de traitement, et encore de 2.5% (1 femme sur 40) les 5 années de traitement suivantes.[4] En revanche, au bout de 10 ans, une étude récente de l’anti-aromatase letrozole ne démontre aucun bénéfice en termes de mortalité, en dépit d’une couverture médiatique récente, là encore aussi massive que trompeuse[5].

Il appartient à chaque patiente de choisir pour elle-même, en fonction de ses risques et préférences personnels, entre ce bénéfice potentiel et le risque d’une qualité de vie altérée. Mais pour que ces femmes puissent exercer ce droit, il faut qu’on les informe et non qu’on les « rassure », encore moins qu’on les manipule. Nombreuses sont les patientes qui s’expriment sur les forums pour regretter de n’avoir pas eu ce choix.

[1] Le coefficient de détermination R2 du modèle est ici de 0.40 à 3 mois et 0.17 à 2 ans.

[2] « Patients’ baseline expectations predicted significant incremental variance components at 3 months (ΔR² = 0.03, P = 0.023) and 24 months (ΔR² = 0.06, P = 0.018).”

[3] Le sur-risque d’embolie pulmonaire sous tamoxifene est de l’ordre de 1 embolie/1000 femmes par an.

[4] Etude ATLAS

[5]Comparer l’étude MA.17R avec sa couverture par les médias, par exemple sur Top Santé.

[6] pm-annonc-expecting-the-worst