Publié le 15 mars 2017 / Brigitte Bègue (Reporterre)


Laurent Schwartz est un récidiviste. Dans Cancer : guérir tous les malades, un livre paru en 2013 (éditions Hugo Doc), il affirmait que la lutte contre le cancer fait fausse route. Il réitère dans Cancer, un traitement simple et non toxique, publié l’an dernier (éditions Thierry Souccar). Un nouveau pavé lancé dans la mare de la cancérologie, qu’il assume parfaitement : « Aujourd’hui, le cancer tue 150.000 personnes par an en France. Malgré les milliards engloutis dans la recherche, la survie des patients n’a pas significativement bougé. À part chez les enfants, où les progrès sont réels, on meurt presque autant du cancer que dans les années 1960 dans les pays occidentaux. Certes, le taux de guérison augmente pour certains cancers, comme celui du sein, mais c’est surtout parce qu’un nombre plus élevé de tumeurs bénignes, non agressives, sont dépistées. » Au banc des accusés, « le trop-plein d’argent et le politiquement correct qui ont figé la recherche et empêché toute alternative ».

Celui qui parle est un iconoclaste, mais n’a rien d’un fantaisiste. Cancérologue depuis 1993 à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP), il a fait ses études de médecine à la faculté de Strasbourg, dont son père était le doyen, puis s’est formé à la Havard Medical School, une faculté de médecine états-uniennes parmi les plus prestigieuses. « J’ai passé près de tente ans à travailler sur un sujet, le cancer. Le plus dur a été d’accepter que mes maîtres, en France ou à Harvard, ne savaient pas. Malgré tous les effets d’annonce, toutes les clameurs, il est une vérité : le roi est nu », écrit-il. Cette « vérité », Laurent Schwartz l’a rendue publique en 1998 dans Métastases, vérité sur le cancer (éditions Pluriel), où il décrivait les limites de la chimiothérapie et l’urgence d’explorer d’autres pistes. Une remise en cause qui lui a valu d’être exclu de l’APHP. Après une « réinsertion de façade », dit-il, il a longtemps été détaché auprès de l’École polytechnique, puis placardisé.

« Par rapport à un tissu sain, un tissu cancéreux ingère dix fois plus de glucose »

Mais Laurent Schwartz est un homme libre. Plus que jamais, il en est persuadé : si la guerre contre le cancer n’apporte pas les victoires espérées, c’est que cette « sale maladie » est plus simple qu’il n’y paraît. « Le cancer est probablement une maladie du métabolisme liée à un dysfonctionnement de la digestion cellulaire, explique-t-il. Lorsque la mitochondrie, qui est la centrale énergétique de la cellule, n’arrive plus à digérer le glucose et à le transformer en énergie, il ne brûle pas, fermente et s’accumule dans la cellule, qui se met à grossir puis à se diviser et à envahir les tissus. » Et d’ajouter, pour le profane : « Quand on fait du jogging, on brûle du sucre pour fabriquer de l’énergie et on ne grossit pas. C’est pareil avec la cellule. Au contraire du diabète, dont la cellule ne peut capter le sucre, car il n’y a pas assez d’insuline, le cancer, lui en est gorgé, car pour survivre, la cellule anormale s’en nourrit. Par rapport à un tissu sain, un tissu cancéreux ingère dix fois plus de glucose. » Pour preuve, quand un cancérologue veut vérifier la nature maligne d’une tumeur ou suivre l’efficacité de son traitement, il fait un Pet scan. Cet examen consiste à injecter du sucre radioactif au patient qui va vite être capté par les cellules cancéreuses, qui en sont friandes.

La piste métabolique n’est pas neuve : elle a été ouverte par le biochimiste allemand Otto Warburg, prix Nobel de médecine en 1931. Des milliers de publications internationales y font référence et plusieurs équipes s’y consacrent actuellement. « Des chercheurs ont injecté des mitochondries de cellules normales à des cellules cancéreuses, ces dernières ont été guéries et ont cessé de se multiplier. Cela prouve que le cancer n’est pas une maladie du seul génome, comme on le pense », assure le médecin. Mais alors, le tabac, l’alcool, l’amiante et tous les cancérigènes figurant sur les listes officielles compteraient-ils pour du beurre ? « Mon propos n’est pas de minimiser leur toxicité, prévient-il. Ces agressions provoquent une inflammation chronique qui fait vieillir l’organisme prématurément et empoisonne ou inactive progressivement la mitochondrie. » Un mécanisme qui pourrait expliquer que les deux tiers des cancers se déclarent après 70 ans : « L’âge est le premier facteur de risque de cancer. Or, en vieillissant, l’oxygène n’atteint pas bien la mitochondrie, qui s’asphyxie, le rendement énergétique s’effondre. La cellule ouvre les vannes et se gorge de sucre. »

Pour le chercheur, un des moyens de vaincre le cancer n’est pas uniquement de tuer les cellules cancéreuses, comme le font les traitements classiques, mais de rétablir leur métabolisme en relançant la mitochondrie. Une hypothèse que cet « explorateur », comme il se définit, teste avec une équipe de physiciens, mathématiciens, biologistes, médecins… Ils ont injecté des cellules cancéreuses à des souris de laboratoire et calculé la vitesse à laquelle elles grossissaient. Ensuite, ils ont listé une centaine de molécules courantes et pas chères susceptibles de ralentir leur croissance, qu’ils ont combinées et administrées aux animaux. Certaines tumeurs ont disparu, d’autres ont régressé. Fort de ces résultats, qui ont été publiés, Laurent Schwartz a demandé aux autorités de santé et à l’Institut national du cancer que des essais thérapeutiques soient menés sur des patients. Fin de non-recevoir. « Tout ça, ce sont des bêtises », commente un célèbre oncologue d’un hôpital parisien, qui n’en dira pas plus.

« Le traitement métabolique est un traitement d’appoint à un traitement classique » 

Laurent Schwartz va néanmoins choisir de franchir la ligne jaune, « non sans appréhension et insomnies », et de traiter quelques patients en dehors du cadre hospitalier et de la blouse blanche. Des hommes et des femmes qui ont lu ses livres et qui se savent condamnés à brève échéance. « Il était de mon devoir de médecin et d’homme de les aider ou, tout au moins, d’essayer. Je ne pouvais pas leur assurer que le succès serait au rendez-vous, seulement espérer que nos traitements expérimentaux, alternatifs à la chimiothérapie lourde qu’ils ne supportaient plus, leur assureraient plus longtemps de meilleures conditions de survie. » Concrètement, tous vont prendre, en plus de leur traitement standard, une association d’acide lipoïque et d’hydroxycitrate, deux molécules habituellement prescrites séparément à des patients pour soigner d’autres maladies, comme le diabète et qui doivent aider à brûler les dérivés du glucose. En parallèle, ils suivent un régime pauvre en sucres.

Le cancérologue pense avoir trouvé un moyen de dynamiser l’efficacité des chimiothérapies et la survie des malades, mais il reste prudent : « Le traitement métabolique est un traitement d’appoint à un traitement classique dont il peut potentialiser les effets, mais il ne suffit pas tout seul. Les bénéfices les plus évidents portent sur le glioblastome. » Cette tumeur cérébrale, particulièrement agressive, a été diagnostiquée chez Anouk en 2014. Après une radiothérapie et deux chimiothérapies, son cancer grossit, raconte-t-elle à Reporterre : « J’ai compris que mes mois étaient comptés, mais je ne pouvais pas l’accepter. Une amie m’a mise en contact avec le Dr Schwartz. Je n’avais rien à perdre. Parallèlement à une troisième chimiothérapie, qui s’est terminée en novembre 2015, j’ai commencé son traitement. Je suis en rémission depuis septembre 2016. Mon oncologue me dit que c’est grâce à la chimio, elle ne veut pas entendre parler du traitement métabolique. Pour elle, il n’y a aucune preuve de son efficacité. Mais moi, je me demande si je serais encore en vie sans lui. » Laurent Schwartz note aussi une amélioration chez les patients atteints de cancers du poumon qui reçoivent en même temps une chimiothérapie ciblée. D’autres ont vu leur tumeur diminuer ou se stabiliser et ont pu bénéficier d’une chimiothérapie plus légère que prévu.

Autant d’exemples empiriques qui font penser au cancérologue qu’il est sur une voie prometteuse, pour ne pas dire « révolutionnaire ». Mais les institutions de lutte contre le cancer continuent de faire la sourde oreille à ses demandes d’essais cliniques. « Trop peu de scientifiques, de médecins, osent s’aventurer en dehors des chemins balisés, hors de la pensée dominante. Pourtant, il est urgent que de nouveaux protocoles thérapeutiques puissent voir le jour. » En mars 2016, des cancérologues de renom alertaient sur le coût exorbitant des traitements. « L’armure commence à se fissurer », juge Laurent Schwartz. Le 14 février dernier, il a lancé un appel sur son site, à d’autres médecins pour établir « une communauté médicale ouverte ».


Source : Brigitte Bègue pour Reporterre

Dessin : © Tommy/Reporterre

Photo :

. Dr Schwartz : DR